La Villa «Le Lac», chef d’œuvre minimaliste
4 mars 2024
Une fois par mois, Immobilier.ch part à la découverte de l’environnement bâti suisse. Dans ce numéro, leur destination nous conduit sur les rives du Léman à Corseaux, où la mythique Villa «Le Lac» de l’architecte suisse Le Corbusier rouvre ses portes en ce mois de mars.
«Une boîte allongée sur le sol», disait Charles-Édouard Jeanneret-Gris. Celui qui est passé à la postérité sous le nom de Le Corbusier se doutait-il que cette structure aux allures de simple cabanon traverserait les époques et inspirerait des imitations à travers le monde entier? Pour répondre à cette question, intéressons-nous aux origines de cette «petite maison» singulière, érigée au début des années 1920. L’architecte et urbaniste chaux-de-fonnier veut alors construire une villa pour abriter les vieux jours de ses parents. Au cours d’une promenade dans les vignes avec son père, il aperçoit une bande de terre à vendre, en bordure du lac. Dans son esprit, tout s’enchaîne. Ce sera là, «face au sud», qu'il donnera vie à une «machine à habiter»: une demeure «pour deux personnes seules», sans domestiques, aussi impeccable dans sa conception qu’un avion, un paquebot ou même une machine à écrire. L’ombre de Jules Vernes plane à proximité…
Une maison étroite à travée unique
Les premiers coups de pioche sont donnés en juillet 1924. Avec un budget dérisoire, dicté par un train de vie familial modeste. Le Corbusier, installé à Paris et associé à son cousin Pierre Jeanneret, ambitionne surtout d’éblouir ses parents. Il souhaite leur démontrer l’étendue de son talent, lui, le cancre autodidacte qui a déserté les bancs de l’école à 13 ans. D’emblée, la tâche s’annonce difficile. En effet, les conditions du terrain ne sont pas des plus favorables: de forme longue et étroite (30x12 mètres) et présentant une nature géologique plutôt mauvaise, la parcelle à bâtir a été remblayée vers la fin du XIXe siècle. Mais Le Corbusier n’est pas du genre à reculer face à la difficulté. Sur une surface restreinte de 64 m2, il organise de manière fonctionnelle et minimale le vestibule, le séjour avec l’espace de travail, la chambre à coucher, la chambre d’amis modulable, la penderie, la cuisine, deux salles de bain, les toilettes et le chauffage. Les lits escamotables sont «dissimulés» derrière une cloison et rangés dans une fosse bétonnée. Les espaces de service sont regroupés vers l’ouest tandis que la cuisine est située plein nord car dépourvue de réfrigérateur (les réfrigérateurs n’arriverons pas avant les années 50 en Suisse). Le paysage reste omniprésent à l’intérieur grâce à une fenêtre de 11 mètres de longueur qui laisse entrer le lac, les Alpes et la lumière du sud dans la maison. Véritable expérimentation technique, cette fenêtre reflète une nouvelle approche du cadrage paysager et de la relation au site.
Les «cinq points» du modernisme
De façon intéressante, la Villa «Le Lac» rassemble déjà trois des futurs «cinq points d’une architecture nouvelle» que Le Corbusier élaborera en 1927: le toit jardin ou toit-terrasse qui offre une extension extérieure, l’utilisation du plan libre qui rejette les contraintes des murs porteurs et permet une adaptabilité optimale dans la configuration des espaces intérieurs, et la fenêtre en bandeau (les deux «points» restants étant les pilotis qui créent un espace ouvert et la façade libre). Suivant ces principes, les pièces de la Villa «Le Lac» ne sont séparées par aucune porte et toutes, sauf la cuisine et le salon, sont bordées par la baie vitrée. Le toit-terrasse est, quant à lui, recouvert de verdure. «Au fil des saisons, cette prairie surélevée est soit bleutée, car tapissée de myosotis, soit blanche, car envahie de pâquerettes», détaille le conservateur des lieux, Patrick Moser.
La construction de la Villa s’achève en 1924, mais Le Corbusier n’aura de cesse d’y apporter des améliorations. En 1931, il y ajoute une «fruitière», une annexe placée au sommet de la maison composée de deux lits superposés, d’un simple bureau et d’une chaise ouvrant sur le paysage. La même année, il construit un mur pour séparer la maison de la route, ce qui contrarie beaucoup le fox-terrier de la famille qui ne peut plus passer sous la haie et aboyer contre les passants. «Le chien a perdu son hobby, poursuit Patrick Moser. Pour qu'il puisse continuer à le pratiquer, Le Corbusier invente le tremplin du chien.» En 1951, la façade sur le lac est également recouverte de tôle d’aluminium. George-Édouard et Marie-Charlotte-Amélie Jeanneret habiteront la Villa jusqu’à leur mort en 1926 et 1960, respectivement. Son frère, Albert Jeanneret, y restera quant à lui jusqu’en 1973.
Restaurée en 2023 pour célébrer son centenaire, l’intérieur de la Villa vient de retrouver ses couleurs d’origine, reproduisant avec une précision minutieuse les teintes découvertes par les parents de l’architecte lors de leur emménagement. Le bleu outremer, le céruléen clair, la terre de Sienne ou le rouge vermillon ont été restitués fidèlement, respectant les matériaux d’origine tels que la peinture à la chaux, la peinture à la colle ou encore l’émulsion à l’huile. Détail amusant: bien que le site soit interdit aux chiens, les visiteurs sont autorisés à prendre des photos de leur mascotte sur le tremplin. En 2023, un concours canin a même été organisé. Le petit chien dont la photo remportait le plus de suffrages repartait avec le premier prix: un an de croquettes. «Nous avons eu tellement de succès qu’un nouveau concours canin aura certainement lieu cet été», s’enthousiasme Patrick Moser, qui rappelle toutefois qu’au-delà de son aspect «bon enfant», ce concours est surtout l’occasion de rappeler une facette méconnue du célèbre architecte: son sens de l’humour!
Source : Immobilier.ch
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