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L'apparition des hôtels particuliers à Genève

   

Un magnifique ouvrage présente un certain nombre de demeures urbaines du XVIIe et XVIIIe siècles, bâties pour une élite. Un récit inédit et richement documenté par l’historienne Anastazja Winiger-Labuda.

    

Si vous avez toujours eu le rêve d’en savoir plus sur les quelques hôtels particuliers que compte la Vieille-Ville de Genève, la chercheuse Anastazja Winiger-Labuda vient de le concrétiser. Voici que vient de paraître un ouvrage consacré aux grandes demeures urbaines, édifiées entre 1670 et 1790 à Genève, édité par la Société d’histoire de l’art en Suisse. Ainsi, on y découvre avec maints détails la genèse, la construction et l’évolution jusqu’à nos jours des trois hôtels particuliers de la rue Jean-Calvin, celui de la famille de Saussure rue de la Cité, ceux de la rue des Granges 2-4-6-8 ou encore le lotissement de la rue Beauregard.

   

L'Hôtel Buisson a été le premier hôtel particulier construit à Genève, entre 1693 et 1695.
   

L’arrivée du luxe

   

Premier exemple genevois d’hôtel particulier entre cour et jardin, l’hôtel Buisson, sis rue Jean-Calvin 13. «Beaucoup d’anciens genevois répétaient que le luxe était entré à Genève par la porte cochère de la maison Buisson», des lignes écrites en 1845 par le syndic Jean-Jacques Rigaud et que l’historienne reprend volontiers à son compte après une analyse poussée de cette opération.

   

«A la différence des maisons patriciennes plus anciennes, qui sont toutes bâties en front de rue, celle-ci s’installe au fond d’une cour d’honneur, entre deux ailes symétriques en retour, qui relie, du côté de la rue, un mur de clôture percé d’une porte cochère; à l’arrière, un jardin en terrasse, bénéficiant de la vue sur le lac, complète l’ensemble», décrit Anastazja Winiger-Labuda.

   

C’est entre 1693 et 1695 que le négociant Léonard Buisson (fils d’un syndic) se fait construire ce qui deviendra le comble du luxe alors. Les appartements des maîtres s’alignent face au jardin. Toutes les pièces de la belle enfilade sont pourvues de cheminées. A l’étage, une galerie a probablement accueilli la riche collection de peintures que Léonard Buisson a hérité de son père.

   

La famille Buisson conserve l’hôtel jusqu’en 1844, date à laquelle Catherine Louise Adelaïde, épouse du professeur Henri Boissier, le transmet à ses petits-enfants issus du mariage de sa fille avec Edouard Naville. Appelé dès lors «l’hôtel Naville», l’édifice va rester entre les mains de cette famille jusqu’à sa vente en 1978 à Jean-Paul Barbier-Mueller, dont les descendants le possèdent encore.

   

L’élite et ses habitations

   

Influencé par la famille Buisson, Charles Lullin va acquérir à son tour la parcelle proche qui forme aujourd’hui le 9 rue Jean-Calvin. Un petit hôtel particulier y est construit entre 1702 et 1707, s’inspirant du plan de l’hôtel Buisson. Charles Lullin est le fils du seigneur de Dardagny, cependant, lourdement endetté auprès du banquier Jean Vasserot, il se voit obligé de lui vendre une part importante de ses biens en janvier 1721. Ce seront ses descendants qui vendront cet hôtel à Louis Necker de Germany, fils aîné du célèbre ministre des Finances de Louis XVI. Ce dernier décide de diviser sa maison en deux logements indépendants. Elle a depuis lors été acquise par Federico Spinola.

   

Un 3e hôtel particulier va s’insérer entre les deux précédents, rue Jean-Calvin 11. Depuis sa construction pour Marc Lullin, en 1706, l’hôtel a changé de mains plusieurs fois. Il sera repris par l’Etat de Genève en 1876 et subira malheureusement de nombreuses transformations et perd la plupart de ses décors intérieurs. Un chantier de réhabilitation, conduit récemment pour le compte d’une sociétéprivée, a pour but de lui rendre son ancien lustre.

   

Le plus somptueux

   

L’hôtel Lullin, puis de Saussure, édifié rue de la Cité 24/rue de la Tertasse 2 est le plus somptueux de l’ancienne cité intra-muros. Il a été érigé entre 1707 et 1710 à l’initiative du puissant banquier Jean-Antoine Lullin-Camp. Ce petit palais vient d’une illustre famille qui a régulièrement occupé les plus hautes charges de l’Etat: «Jean-Antoine est le fils du syndic Jean Lullin et de sa première épouse, Catherine Calandrini. Son frère aîné, Pierre, suit la tradition familiale en se consacrant à la magistrature, alors que lui-même et son demi-frère Marc se tournent vers le commerce, puis la banque.»

   

Comme le relève l’historienne qui a rédigé la majeure partie de ce bel ouvrage, «en 1688, âgé de 22 ans, Jean-Antoine Lullin épouse Anne-Madeleine Camp, fille d’un «marchand banquier» et de Théodora Thellusson, qui lui apporte une dot appréciable. Ce mariage propulse Jean-Antoine dans le monde des affaires puisque, très vite, il devient l’associé de son beau-père dans une maison de commerce établie à Genève, Turin et Lyon. Spécialisée dans la fabrication et le négoce de la soie et dans la dorure, la société Lullin & Camp développe toutes sortes d’activités.» Il s’intéresse bientôt à des opérations de change et de banque.

   

«L’enrichissement spectaculaire de Jean-Antoine est particulièrement perceptible à travers l’évolution de sa situation fiscale. En 1708, il verse la plus haute contribution que Genève ait connue sous l’Ancien-Régime. Néanmoins, la mort le surprend à Lyon alors que son somptueux hôtel est en voie d’achèvement. Parmi les particularités de cet hôtel, sa cour d’honneur, plus large que profonde. Alors que le commanditaire de l’hôtel n’a jamais pu l’habiter, sa descendance s’y succède pendant dix générations et conserve la propriété jusqu’à nos jours.

   

L'Hôtel Sellon domine la place Neuve et accueille le musée de la Fondation Zoubov.
   

La rue des Granges

   

Un peu plus haut dans la Vieille-Ville, nous arrivons dans la célèbre rue des Granges. «L’hôtel de la rue des Granges n°2 constitue la première séquence d’un ensemble architectural qui marque le front méridional de la haute ville». Il a été construit en 1720-1723 pour le marchand banquier Jean Sellon dont les descendants le conservent jusqu’en 1955. Acquis à cette date par l’Etat de Genève, il abrite aujourd’hui le musée de la Fondation Zoubov et de vastes appartements locatifs.

   

C’est sur ce site, considéré comme «le plus beau côté de la ville», que l’Etat lance en 1717 la plus prestigieuse opération immobilière du XVIIIe siècle. Il en résulte un front uniforme de trois hôtels à la française au sud. Comme le relève l’autrice, «dans la petite République de Genève», où un étroit réseau de parenté reliait la plupart des membres de l’oligarchie au pouvoir, il n’est pas surprenant de voir que la construction d’un ensemble aussi prestigieux s’assimile à une «affaire de famille». En effet, trois des quatre parcelles les mieux exposées sont vendues à Jean Sellon et à ses deux beaux-frères Pierre et Gaspard Boissier. Les trois hommes ont bâti leur fortune dans le grand négoce et la banque. Dès 1722, la Chambre de la Réformation s’inquiète des abus que certains particuliers commettent à l’égard des lois somptuaires en construisant leurs demeures. Les Sellon et les Boissier sont visés: la hauteur des étages qui dépasse d’un demi-mètre les 3,60 mètres autorisés; les boisages et parquetage de noyer; les sculptures en façade, etc. Sans grand succès.

   

Finissons avec l’hôtel Naville-Boissier, sis rue des Granges 8. Encombré jusqu’en 1726 par d’anciennes granges destinées à la démolition, il renoue avec le modèle très parisien de l’hôtel Buisson. «A la différence des autres hôtels de la rue des Granges, destinés en partie à la location, ses plans prévoient une seule cuisine pour l’ensemble du bâtiment, signe que le banquier David Vasserot entend s’offrir un hôtel particulier au sens strict du terme, sans locataires.» Ce dernier ne pourra y vivre. Sa veuve va léguer la parcelle à Guillaume Boissier et le chantier s’ouvre finalement en 1744.

   

   

Source : Immobilier.ch

   

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